Quand l’art rencontre la science : les projets fascinants du collectif 1heure61
Rencontre avec ce collectif de jeunes curatrices féministes qui nous font découvrir leurs ambitions et leurs projets à la croisée de l’art et des sciences.
Comment le collectif a-t-il vu le jour ?
Quand on a créé le collectif, en 2018, on avait à cœur de sortir du modèle passif dans lequel l’apprentissage de l’histoire de l’art à la fac nous plaçait. C’était frustrant pour beaucoup d’entre nous d’avoir des cours sur des expositions, de faire des mémoires sur des expositions… mais de ne pas avoir la possibilité d’en monter au cours de notre formation. On avait l’impression d’être des spectatrices, d’arriver après la bataille, alors que nous étions majoritairement intéressées par l’art qui se crée actuellement. Bien sûr, il existe des formations plus axées sur l’exposition d’art, mais ça reste un milieu assez restreint, avec des codes bien particuliers auxquels nous n’adhérons pas vraiment. Aujourd’hui que nous ne sommes plus étudiantes, notre identité a donc évolué vers un collectif plus affirmé.
D’où vient ce nom intriguant ?
1heure61 renvoie à l’idée d’une heure impossible, comme un bug dans le système. Cette minute supplémentaire permet d’appréhender tout l’écosystème qui entoure les œuvres. Pour nous, c’est là toute la différence entre regarder une exposition et la vivre. C’est pour ça qu’on défend l’idée de l’art comme une expérience immersive. On cherche à faire sortir les visiteurs de l’attitude passive (voire consommatrice) souvent sous-entendue par le contexte des expositions. Dans cette optique, on cherche à stimuler de multiples sens des visiteurs, tels que l’ouïe, le toucher et l’odorat. Cela passe par des collaborations avec différentes actrices et acteurs qui ne s’inscrivent pas au départ dans le champ de l’art contemporain. L’exposition est une forme vivante : à chaque visite, échange, lecture, elle mue un peu plus.
Votre équipe est exclusivement composée de femmes. Comment l’expliquez-vous ?
C’est un choix politique né d’un constat très simple : les femmes sont majoritaires dans les formations des professions culturelles, mais ne représentent pas la moitié des postes occupés. De même, les femmes représentent la majorité des diplômés des écoles d’art, mais sont énormément moins exposées. Il y a donc l’idée de renverser cette tendance et de créer une voix commune à un groupe de femmes, toutes jeunes diplômées. De la même manière, il est primordial pour nous que nos expositions se composent d’au moins 50 % d’artistes femmes.
Que souhaitez-vous promouvoir à travers ce collectif ?
Notre but premier est de promouvoir et soutenir la scène artistique émergente. C’est d’autant plus urgent pour nous, que la pandémie a contribué à fragiliser une grande partie des acteurs du milieu culturel, déjà assez précaire, surtout quand on ne s’inscrit pas dans une organisation instituée. Il nous importe d’aller à la rencontre des artistes et des oeuvres. Notre fil rouge : créer une synergie entre de jeunes artistes, commissaires et critiques d’art, comme une orchestration fructueuse. D’où les expositions collectives.
On envisage aussi le commissariat d’exposition sur un modèle collaboratif au sein duquel nous ne faisons pas figure d’autorité. Notre indépendance permet de proposer des expositions en marge des programmations institutionnelles plutôt normées. On veut que le collectif soit une plateforme qui permette de raconter une autre histoire de l’art en train de se faire. D’où notre intérêt pour des artistes en dialogue avec des thématiques contemporaines, écologiques ou féministes, par exemple. Ça ouvre tout un champ de réflexions et ça permet de sortir assez frontalement de l’idée d’un art “hors du temps”.
Votre champ de réflexion s’oriente vers les croisements entre art et science. Quel rôle pensez-vous que la science joue dans la création artistique contemporaine ?
Cette question impulse nos expositions. On s’est rendu compte que beaucoup d’artistes avaient une pratique hybride, que leur processus de création s’inspirait et citait directement des domaines scientifiques. Pourtant, très souvent, l’art et la science ne se rencontrent pas dans les esprits. Chacun de ses domaines peut même sembler inaccessible aux non-spécialistes. En mettant en avant des correspondances, nous mettons le doigt sur le potentiel anticipatif de la création contemporaine. Ce tremplin permet de mieux envisager le monde de demain. Nous-mêmes, non scientifiques, nous en apprenons un peu plus chaque jour au contact des artistes, de leurs œuvres, de leurs citations. C’est ce qui rend tout le processus intéressant et vivant.
Et puis, formellement, on se rend vite compte que les œuvres sorties d’un laboratoire fascinent. Celles-ci captent l’attention, par leur côté presque surnaturel. Elles encouragent à réfléchir au monde qui nous entoure.
Pouvez-vous nous parler de votre dernière exposition autour de l’imaginaire du monde sous-marin ?
L’exposition Aquamorphose a eu lieu en septembre dans le squat Les Petites Maisons (Paris). Cette exposition a réuni les travaux de sept artistes : Camille Juthier, Elsa Guillaume, Jeanne Briand, Jonathan Bréchignac, Marion Catusse, Milan Kühn et Théo Massoulier. On voulait que les visiteurs s’immergent en entrant dans l’exposition, comme dans un aquarium, à la rencontre d’œuvres créées en référence directe au monde aquatique, suffisamment loin des humains pour qu’on puisse y projeter angoisses, craintes, espoirs.
On avait commencé à travailler sur cette exposition avant la crise sanitaire. On voulait déjà orienter le travail du collectif vers des questionnements mêlant art, nature et science. Quand l’exposition a enfin pu voir le jour, elle avait un goût particulier. Les questions soulevées par Aquamorphose ont trouvé un écho dans notre situation actuelle, mais en filigrane.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Le monde sous-marin est apparu comme une entité, comme un être à part entière. C’est un monde dans un monde qui produit des phénomènes fascinants. Et parce qu’on ne le connaîtra jamais entièrement, l’être humain rêve les formes qu’il peut produire. Face aux retours positifs, nous avons décidé de prolonger ces réflexions en les orientant vers d’autres écosystèmes.
Aquamorphose est donc le premier volet d’un cycle d’exposition que nous préparons en ce moment. Dans les deux prochains, nous explorerons les liens entre l’humain et les espaces terrestres et aériens. Cette thématique, large et mouvante, s’inscrit dans une actualité brûlante autour des questions relatives à l’Anthropocène.
Propos recueillis par Alexandra Baltas
Prochaine exposition Terramorphose.
L’ensemble des expositions du collectif 1heure61 sont gratuites.
Retrouvez le travail du collectif 1:61 sur leur compte Instagram
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